L'aquarelle

De l'eau, des pigments, un support papier… à priori rien de plus simple pour représenter un sujet quelconque à l'aquarelle ou verser dans le dessin abstrait, à l'aide de pinceaux variés et en un temps relativement court.

Pourtant, l'eau reste un messager très capricieux. Et pour délivrer les pigments dont elle est chargée, son cheminement sur le papier prend souvent, à la grande déception du peintre ou de l'illustrateur, des aspects aléatoires et tumultueux. Elle se révèle être d'une compagnie indisciplinée et contrariante. A priori, tout type de débordement et aléa qu'un artiste tente d'éviter au sein de la chorégraphie de l'oeuvre picturale ou de l'illustration.

Les artistes actuels reconnus dans ce médium nous montrent qu'il n'en est rien, même si leur travail est basé sur une grande rigueur.

La peinture à l'aquarelle est une école de patience - évidence communément admise - mais une école où l'on se découvre un appétit pour le hasard, intronisant le chaos dans le sillage du pinceau et le temps comme régulateur d'humidité entre chaque passe. La gravitation est également conviée, donnant la capacité à l'artiste de générer textures et sédimentations incontrôlées et le privilège d'agir sur l'oeuvre sans toucher la surface, par simple inclinaison du support. Les flux hydrauliques à l'échelle du millimètre charrient la matière, dérivant et s'échouant en multiples festons ou selon la dextérité du peintre et de l'illustrateur, sur des plages de somptueux dégradés.

L'aquarelle est spectacle

La pensée

A travers les ouvrages écrits de Jean-Louis Morelle* ou d'Ewa Karpinska**, artistes peintres de renom, l'aspirant aquarelliste découvre que ce médium - auquel on attribue une place mineure dans l'histoire de l'Art - est paradoxalement d'une richesse et d'une complexité capables d'emplir une vie.

Plonger dans le quotidien de l'aquarelle nécessite de se prendre pour un apprenti-sorcier coloriste, un cuisinier pictural, concocter ses propres recettes, tester régulièrement l'interaction entre peintures et papiers de différentes marques pour trouver l'alliance parfaite entre le dessin du sujet, l'atmosphère (ou ambiance) choisie et la maîtrise technique du geste et des matériaux qui caractériseront le regard d'un artiste.

De même que pour un coureur de fond, le rapport au temps est primordial pour l'aquarelliste. L'approche du sujet se doit d'être ni trop rapide, car les lavis fusionnent alors et finissent en une boue ayant perdu tout éclat, ni trop lente au risque de voir les couleurs apposées sans véritable jonction et fragmenter au final la perception du tableau. Pour que la composition "tienne l'œil", de touches en aplats, de fondus apaisants en contrastes vibrants, le regard doit se perdre dans ce que la feuille a d'espace, puis y revenir en promeneur.

Depuis le dessin préparatoire, jusqu'à la pose de la dernière touche, l'illustrateur se doit de suivre un cheminement constructif qu'il a élaboré au gré de ses expériences. Le peintre a les siennes également, mais qu'il s'ingénie parfois à enfreindre, par amusement ou pure recherche personnelle. Dans l'attente que le papier atteigne un degré d'humidité adéquat pour la touche voulue, voire un séchage complet, que la peinture réalisée se fasse en une demi-heure ou en plusieurs jours, la gestation des coups de pinceaux suivants oblige l'artiste à une perpétuelle pensée constructive.

L'aquarelle est architecture

Le cheminement

Apprivoiser l'eau requiert ainsi de longues années de pratique et de recherche, afin de s'en faire une alliée, la charger en conséquence de pigments minéraux ou synthétiques, rutilants ou profondément azurés, et la laisser guider la main sur la surface d'une feuille blanche à la texture choisie. Ici, comme sur l'aire de jeux des jeunes enfants, les limites sont indéfinies, les zones cernées et frontalières s'avèrent mouvantes.

La récolte fructueuse ou non des jeux de lumière capturés sur la feuille, fruit de l'expérience et du travail, surpassent alors en impact le tracé, les couleurs, pour éclairer la conscience et réveiller les sens.

La virtuosité du peintre et de l'illustrateur, se débusque alors non seulement au sein des nombreuses variations de tons, complexités des nuances, mais surtout dans la lumière de cette "convaincante approximation" du sujet représenté.

L'aquarelliste est un illusionniste.

F. G.

* Jean-Louis MORELLE : Aquarelle, l'eau créatrice Edition Fleurus. www.jean-louis-morelle.com
** Ewa KARPINSKA : Aquarelle, la lumière de l'eau Edition Fleurus. www.ewa-karpinska.com